... et des châtiments corporels en général.
"Nous ne pouvons pas nous libérer d'un mal sans l'avoir nommé et jugé comme un mal." Alice Miller
Comme je l'ai déjà exprimé, je suis absolument contre la violence physique (et morale, mais c'est un autre sujet) envers les enfants.
J'ai la chance que mes pulsions de violence ne se retournent jamais contre les individus. Pourtant, après lecture d'assez nombreux témoignages, j'arrive à comprendre que l'on puisse "déraper" quelquefois, surtout si l'on a soi-même été "élevé à la fessée", à imaginer la culpabilité et la souffrance que cela doit engendrer.
Une fessée ou une tape "qui part", aussitôt regrettée, peut toujours être suivie d'explications et d'excuses.
Ce que je ne parviens pas à comprendre, en revanche, c'est que cette violence physique puisse être érigée en principe éducatif.
Que peut-on attendre, rationnellement, du fait de battre un autre que soi, aimant et plus faible de surcroît ? L'obéissance ? La soumission ?
Personnellement, j'ai de plus grandes ambitions, pour mes enfants, pour moi-même, et pour la nature de nos relations.
Pour achever de se convaincre des méfaits (le juste terme, d'ailleurs, serait plutôt "ravages") des châtiments corporels, j'aimerais faire un point sur ce que l'on sait aujourd'hui des conséquences de ces pratiques sur la santé et le psychisme des enfants.
Pour ce faire, je m'appuie sur les travaux d'Olivier Maurel, LE spécialiste français de la question, président de l'OVEO (Observatoire de la Violence Educative Ordinaire).
Je le cite dans son livre La Fessée, questions sur la violence éducative :
"Il y a quelques dizaines d'années, on pouvait encore avoir des doutes sur la nocivité des châtiments corporels infligés aux enfants. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les recherches les plus récentes sur le fonctionnement du cerveau montrent de façon indubitable que les coups reçus par les enfants y provoquent des lésions et entravent son développement. Et le neurologue de réputation internationale Antonio R. Damasio approuve l'idée que la façon dont sont traités les enfants peut expliquer nombre de comportements aberrants et cruels propres à l'humanité et qu'on attribue bien à la légère à la "nature humaine".
L'Organisation Mondiale de la Santé a d'ailleurs pris position et rangé les châtiments corporels parmi les causes non seulement de la violence des adolescents et des adultes, mais aussi d'un grand nombre de maladies. Mais bien peu de gens ont lu ce rapport."
Pourquoi faut-il renoncer aux châtiments corporels ?
- A la naissance, le cerveau des enfants et leur système nerveux sont inachevés. Ils se construisent tout au long de l'enfance.
Le volume du cerveau augmente (à la naissance, il a le cinquième du poids de celui de l'adulte), c'est pourquoi les jointures des os de notre crâne ne se ferment définitivement qu'à l'âge adulte.
Si, pendant cette période ou une partie de cette période, l'enfant est fréquemment soumis à des stress, le développement de son cerveau peut être perturbé.
Pour un bon équilibre de la personnalité, il faut que les émotions aient pu se développer normalement et que le cerveau cognitif ait appris à les reconnaître et à les contrôler.
Or, quand le cerveau est soumis pendant son développement à des stress trop fréquents, et qui ne peuvent pas s'évacuer dans la fuite ou l'autodéfense, les capacités du cerveau sont diminuées, le développement des neurones se fait mal, et certains neurones sont même atteints de lésions.
- Dans l'immédiat, l'enfant frappé obéit souvent à l'ordre qu'il a reçu par peur des coups. Mais c'est aussi pour lui la première expérience de la lâcheté. Souvent, il recommence à la première occasion, mais en cachette : première expérience de l'hypocrisie. Enfin, il peut prendre plaisir à défier ses parents : première expérience de la provocation.
- Une claque peut perforer le tympan d'un petit enfant ou provoquer des traumatismes oculaires.
La fessée, considérée par certains comme totalement inoffensive, est en réalité dangereuse. Le nerf sciatique, le coccyx, les organes sexuels peuvent être atteints par des coups violents.
Frapper un enfant sur les mains peut aussi avoir des conséquences graves : les mains des enfants sont particulièrement vulnérables parce que les ligaments, les nerfs, les tendons et les vaisseaux sanguins sont juste sous la peau qui ne comporte aucun tissu protecteur sous-jacent. Frapper les mains des enfants très petits est spécialement dangereux pour les plaques de croissance des os qui, si elles sont endommagées, peuvent causer des déformations ou des perturbations. Frapper les mains des enfants peut aussi causer des fractures, des dislocations et, postérieurement, entraîner le développement prématuré d'ostéo-arthrite.
- Des études ont montré que l'hormone du stress, le cortisol, provoque une inhibition du système immunitaire, au moins temporairement, sans doute dans le but d'économiser l'énergie afin d'affronter en priorité la situation d'urgence immédiate, nécessité plus pressante du point de vue de la survie. Mais si le stress est intense et constant, la suppression peut devenir durable, fragilisant l'organisme.
Une étude effectuée en 1995 sur 300 jeunes accidentés de la route a montré, en plus d'une fréquence plus grande des accidents chez les enfants frappés, la fréquence de maladies plus graves que chez les autres enfants.
- De nombreuses études montrent que lorsqu'un jeune manifeste une grande violence, il faut rechercher les antécédents de violence subie. On a constaté une forte liaison entre toutes les formes de violence (sur soi, sur autrui et subie).
Frapper un enfant, c'est lui ouvrir, large comme une autoroute, la voie de la violence et lui rendre difficile la voie du respect des autres.
Quelle que soit la force du coup reçu, la leçon qu'il donne à l'enfant est la même : en cas de conflit, la violence est une réponse normale, y compris à l'égard d'un être plus petit que soi.
- Les enfants frappés, blessés dans leurs émotions, sont contraints à un durcissement, un blindage. Rien d'étonnant à ce que certains d'entre eux aient perdu une grande partie de leur capacité naturelle de compassion.
- De nombreuses personnes deviennent masochistes à la suite de fessées reçues dans leur enfance, c'est-à-dire incapables d'éprouver un plaisir sexuel sans qu'il soit lié à une fessée réelle ou fantasmée. Il ne faut pas s'étonner, compte tenu du nombre d'enfants fessés, qu'il y ait sur internet tant de sites érotiques pour amateurs de fessées.
La fessée est un abus sexuel. Il serait temps qu'en prennent conscience tous ceux qui ont tendance à dire qu'"une bonne fessée n'a jamais fait de mal à personne".
- Les enfants qui ont été frappés ne considèrent pas que leur corps leur appartienne. Les coups les habituent à l'idée d'accepter que les adultes ont un pouvoir absolu sur leur corps, y compris le droit de leur faire mal.
Les fessées les convainquent d'autre part que les zones sexuelles sont soumises à la volonté des adultes. Il est peu probable que l'enfant qui se résigne à être battu le lundi ose dire "non" à un violeur le mardi. Les adultes qui ont été abusés ou exploités sexuellement le savent. Ils cherchent leurs victimes potentielles parmi les enfants à qui on a enseigné "si tu n'obéis pas, tu vas voir ce qui va t'arriver", parce que ce sont les cibles les plus faciles.
- Toutes les victimes ne deviennent pas bourreaux. Mais tous les bourreaux ont été victimes.
- Commencer à frapper un enfant, même légèrement, c'est pour la personne qui frappe, mettre en place dans son propre cerveau un automatisme qui risque de devenir la réponse privilégiée à tout conflit avec l'enfant. La dynamique de la violence est celle de l'escalade. Et nul ne peut savoir jusqu'où il pourra être entraîné par sa propre violence.
Une étude réalisée en Ontario montre que, sur 10000 cas de mauvais traitements, presque tous ont commencé par des corrections "raisonnables".
En guise de conclusion :
"Une des pires conséquences des punitions corporelles, c'est qu'arrivé à l'adolescence ou à l'âge adulte, chacun les considère comme sans importance et les prend en dérision.
Il n'y a qu'un regard vrai sur les châtiments corporels : celui des enfants qu'ils terrifient."
Merci pour cet article.
RépondreSupprimerJe partage complètement ton avis et tous les châtiments corporels sont bannis ici. A deux reprises, ma main est partie seule et Pomme s'est pris une tape. Immédiatement je lui ai demandé pardon, lui expliquant que la colère avait été plus forte.
Mais longtemps, les tapes (surtout sur la main) m'ont semblé normales, faire partie de l'éducation. J'en ai moi même donné lorsque j'étais jeune fille au pair (car les parents le faisaient et m'avaient dit de le faire).
C'est en feuilletant un livre à la fnac (il y a 6 ou 7 ans) que je suis tombée sur un petit texte (il me semble que c'était d'Alice Miller): un sondage où il était demandé à quel âge avez vous commencé à donner des tapes à votre enfant ; les réponses s'étalaient, avec un pic vers 18 mois je crois, mais PERSONNE n'avait dit JAMAIS.
Ce texte m'a bouleversée et ouvert les yeux.
J'ai commencé à réfléchir à l'utilisation des châtiments corporels et à ce moment là je crois, je suis devenue une future maman non violente! Ce qui m'avait toujours semblé normal m'est devenu insupportable.
Il m'a semblé tellement incohérent de taper la main d'un enfant qui vient de taper "On ne tape pas!" et paf!
Coucou,
RépondreSupprimerEh bien, les grands esprits se rencontrent ! je me suis replongée dans le livre d'Olivier Maurel il y a deux jours pour écrire un article sur le sujet ;)
Je ne sais pas si ce sont Juliette, Petit Ours Brun et leurs fessées qui m'ont remotivée (merci Simplement Maman), mais j'avais aussi envie d'en parler ! :)
Merci pour cet article !
PS : je suis un boulet, je viens seulement de comprendre le sens du titre de ton blog... Mieux vaut tard que jamais...
Simplement Maman,
RépondreSupprimerMerci pour ce témoignage très touchant et qui, je trouve, illustre bien le fait que sur cette question chaque cheminement est unique et très personnel.
Pour ma part, je ne me suis clairement positionnée qu'après la naissance d'Emma (alors que j'ai été élevée sans tape ni fessée).
Comme toi, l'aberration et l'incohérence de l'attitude de certains parents me choquent. Quand on sait que les enfants apprennent principalement par imitation, et que l'essentiel de ce qu'ils comprennent et intègrent de nos comportements se situe dans la part de non-verbal, cela donne à réfléchir...
Nombre de spécialistes (dont Olivier Maurel et Alice Miller) avancent que la violence de nos sociétés, les guerres, les génocides, trouvent leur source dans la violence éducative.
Il est de notre devoir de parents - et de citoyens ! - de ne pas frapper nos enfants (fusse au prix d'un travail de thérapie), car ainsi ils ne frapperont pas les leurs.
C'est un cercle vertueux. :-)
Mamanlullaby,
En effet c'est rigolo ! Que ça ne t'empêche pas t'écrire ton article. ;-)
Et pour le nom du blog, en effet mieux vaut tard que jamais ! ;-)
Oui, je suis en train d'écrire mon article, je vais le publier ! cela dit, le tien est très complet. :)
RépondreSupprimerEt par rapport à ce que tu dis :"Ce que je ne parviens pas à comprendre, en revanche, c'est que cette violence physique puisse être érigée en principe éducatif."
Je crois que la réponse est dans ta conclusion. C'est tout le côté pernicieux des châtiments corporels malheureusement : lorsqu'on a été élevé de cette façon, on a tendance à ne pas remettre le comportement de ses parents en question, à le légitimer et à le reproduire... :/
Mamanlullaby, tu as raison "ce que je ne parviens pas à comprendre" était une expression mal choisie. J'aurais dû dire "ce que j'accepte mal" ou "ce qui me révolte". ;-)
RépondreSupprimerParce que, oui, je comprends le mécanisme pervers qui pousse une personne à faire subir à ses propres enfants ce qui l'a elle-même fait souffrir... :-(
Mais j'ai envie d'être optimiste : dans notre cercle d'amis, aucun ne bat ses enfants. :-)
J'ai l'impression que nous sommes la première génération à réfléchir autant à l'éducation que nous voulons donner (en ce sens, le recentrage parfois un peu extrême sur les enfants et la "valeur famille" a du bon ;-) ), et à remettre assez "facilement" en cause celle que nous avons reçue.
C'est positif, et nécessaire !
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