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Merci. Un petit mot qui chante à l'oreille, et qui sait si bien chanter au coeur quand il exprime un sentiment. Mais s'il faut le quémander, en faire un réflexe conditionné, il perd de sa gratuité, et celui qui donne devient celui qui veut recevoir. S'il n'est plus que le vernis d'une politesse, il se dessèche et perd son essence."
Anne Motte, magazine l'Enfant et la Vie.
La plupart des adultes attendent des enfants, même très jeunes, qu'ils soient polis (policés ?). Il faut voir avec quelle insistance, parfois, ils réclament ces petits mots "magiques" : bonjour, au revoir, s'il te plait, merci...
Cela me met toujours mal à l'aise, car j'imagine ce qu'un enfant doit ressentir, contraint à les "sortir de lui", sous cette pression de regards de surcroît.
Il peut être intimidé, réellement bloqué, effrayé, se sentir humilié, nié dans sa sensibilité, violé dans son droit à disposer de sa parole...
Enfin, je ne sais pas pour vous, mais moi je suis bien plus touchée par le regard et le sourire reconnaissants d'un enfant que par un "merci" contraint, vide de sens pour lui...
La politesse est un code social, sans lien direct avec nos sentiments ou pensées (en tout cas pas obligatoirement).
Or, c'est vers l'âge de 6 ans que le
sens social apparait et se développe chez l'enfant. Il a alors naturellement envie de se conformer aux normes et aux codes de la société dans laquelle il évolue, et de les intégrer dans son comportement.
Cette évolution va de pair avec sa sensibilité croissante pour les sentiments d'autrui et son besoin d'être accepté au sein du groupe.
Avant 6 ans, l'enfant est égocentré. Exiger de lui des marques de politesse, c'est lui demander de mobiliser son énergie et son cerveau pour autre chose que sa découverte du monde et de lui-même (ce que lui dicte son "programme interne").
Chaque chose en son temps...
Nous le savons, l'enfant absorbe tout de son milieu et agit en grande partie par mimétisme.
Il parait donc judicieux d'être particulièrement vigilant à notre propre rapport à la politesse, en particulier au sein de notre foyer. Se montrer poli - en toutes circonstances - envers son conjoint et ses enfants (ce dès la naissance !), est à la base de cet apprentissage.
Quand je vois Alexandre gratifier l'assemblée d'un "auvoir toumonde !", avec un grand sourire radieux, lorsqu'il va se coucher, je me dis qu'un enfant est naturellement fier de comprendre et de reproduire ce que font les adultes, à partir du moment où il n'y est pas contraint.
Au quotidien, je n'exige pas d'Emma qu'elle soit polie.
En revanche (car je fais une distinction fondamentale entre politesse et respect) il est impensable pour moi de répondre favorablement aux injonctions du style "J'ai soif !" ou "Encore des pâtes !". Dans ces cas-là, je lui demande de reformuler : "Comment dois-tu demander ?" Si elle n'y parvient pas, je le fais pour elle : "Maman, j'aimerais de l'eau s'il te plait". Etant entendu qu'un "J'aimerais de l'eau" me convient, le "s'il te plait" est pour moi optionnel.
Ces derniers temps, je constate qu'elle dit de plus en plus spontanément "merci", mais uniquement lorsqu'une attention la transporte réellement de joie.
Il me semble qu'il faut faire très attention, également, aux termes que nous employons. Un enfant qui dit "bonjour" ou "merci" n'est pas
gentil, il est
poli. Et un enfant qui ne le fait pas... n'est pas
méchant.
Lorsque nous nous promenons dans notre petit village, je salue les gens que nous croisons. Il arrive qu'Emma me demande : "Pourquoi tu as dit 'bonjour' au monsieur ?". Et je lui réponds simplement : "Parce que c'est poli".
Comme souvent, je trouve que le principal problème avec cette histoire de politesse, c'est le regard des autres.
Il se trouve qu'Emma est une petite fille qui a besoin de temps pour se sentir à l'aise et en confiance. Ma technique pour ne pas passer pour "la mère indigne aux enfants mal élevés" (auprès des commerçants de mon village notamment...), c'est de formuler pour elle (si elle ne le fait pas spontanément, ce qui est presque toujours le cas) le "bonjour madame", ou le "au revoir monsieur" tant attendus. J'ajoute un petit regard complice à l'intention de l'adulte demandeur, et l'honneur est sauf !
Merci de m'avoir lue. ;-)