Entre 18 mois et 3 ans (râtissons large...), l'écrasante majorité des enfants passe par une phase dite "d'opposition", qui peut se manifester de différentes manières. Elle est notamment fonction du caractère de l'enfant, de la survenue potentielle d'événements particuliers (changements importants dans la vie de l'enfant : déménagement, naissance, deuil, etc.), et de l'attitude des adultes qui l'accompagnent durant cette période.
Dans le cas d'Emma, ces phases d'opposition sont revenues (j'emploie le passé... et je touche du bois !) cycliquement, avec des pics qui ont parfois mis nos nerfs à rude épreuve.
Il est évident que cette période représente un grand
défi pour les parents.
Elle est aussi, sans doute, la première vraie occasion de nous demander quel type d'éducation nous souhaitons pour nos enfants. Car il va s'agir de se positionner, quelque part entre laxisme et autoritarisme...
Voici ce que dit le Docteur Fitzhugh Dodson, dans son livre
Tout se joue avant 6 ans, de cette période qu'il nomme la première adolescence :
"
Le développement de l'enfant n'est pas un chemin égal et régulier conduisant à un comportement plus mûr à mesure qu'il grandit. Au contraire, la croissance et le développement d'un enfant passent par des périodes d'équilibre suivies de périodes de déséquilibre. Par exemple, le stade des premiers pas est une période d'équilibre, suivi du stade de la "première adolescence" (de deux à trois ans environ), qui est une période de déséquilibre. Puis vient le stade des trois ans qui est une période d'équilibre, puis vers quatre ans, c'est de nouveau le déséquilibre. Ensuite, à cinq ans environ, survient une nouvelle période d'équilibre.
[...]
La première adolescence est un stade de transition. La première transition que nous rencontrons dans la croissance de l'enfant. Je l'ai appelée "première adolescence" à cause de sa ressemblance frappante avec la véritable adolescence, entre treize et dix-neuf ans (et que nous pouvons appeler "seconde adolescence").
[...]
Ces étapes, faites d'orages et de tension, l'une comme l'autre, impliquent négation et rébellion.
Il est très important que les parents saisissent les aspects positifs de ce stade que nous avons appelé déséquilibre. Les parents qui ont déjà l'expérience de cette étape chez leurs enfants l'appellent "l'année terrible" et la redoutent. Mais voyons la chose d'un oeil neuf : prenons un enfant de seize à dix-huit mois. C'est encore un bébé. Comment la nature peut-elle en faire un "trois ans" dont la personnalité ait la maturité caractéristique de l'enfant par rapport au bébé ? Notre mère Nature ne peut opérer ce changement qu'en brisant les principes d'équilibre qu'il avait atteints. C'est pourquoi, quand notre plus jeune fils se mit à crier bien fort "non, non !" à vingt mois, nous comprimes que les principes de son équilibre de bébé étaient en train de céder.
Malgré les difficultés que l'attitude négative et d'opposition de votre "deux ans" vous causeront, rappelez-vous qu'il s'agit vraiment d'une phase positive de son développement, sans laquelle il resterait figé dans l'équilibre du bébé.
[...]
Si vous regardez au-delà des épreuves quotidiennes, vous devez comprendre que votre enfant est en train de découvrir son individualité en opposition au conformisme social.
Rappelez-vous qu'un nouveau-né n'a pas la conscience du "Moi". Il lui faut un certain temps avant d'apprendre à distinguer le "Moi" du "Non-Moi" que représente son univers. Le stade de développement dont nous parlons est le premier au cours duquel votre enfant acquiert vraiment le sens de sa personnalité unique. Et l'une des choses qu'il doit nécessairement faire pour établir le sentiment de son identité est de s'opposer à ses parents, en prenant une attitude négative. Pour qu'il puisse définir qui il est et ce qu'il désire, il faut qu'il passe par une phase de négation et de défi.
En d'autres termes, la prise de conscience de soi négative fait partie de la lutte menée à cet âge pour la prise de conscience de soi positive.
[...]
Donc la tâche nouvelle assignée à l'enfant pendant ce stade de développement est d'acquérir fermement le sens de son individualité, le sens profond de ce qu'il est."
Cette étape est donc normale et
saine. Un enfant de cet âge n'agit pas
contre ses parents, mais
pour satisfaire les lois de son développement.
Je trouve particulièrement important et aidant de le comprendre, parce que cela permet de relativiser (dans les moments d'accalmie...), mais aussi d'éviter le piège de l'excès d'autorité, par peur du spectre du "syndrome de l'enfant-roi".
Et puis, si l'on y réfléchit, la capacité à s'affirmer et à faire des choix pour soi-même, la confiance en soi et en ses capacités, sont des aspects très
positifs d'une personnalité. C'est en partie ce qui se joue durant cette période, et nous avons certainement grand intérêt à ne pas trop les brider (et même à les valoriser !) chez nos enfants.
Malheureusement, si en prendre conscience est essentiel, cela reste bien insuffisant pour échapper, pendant cette période critique, à la crise de nerfs quotidienne...
Puisque nous semblons en être sortis (...), je peux tenter un résumé de ce qui a plutôt bien fonctionné chez nous.
Je précise tout de suite qu'il n'y a pas (évidemment et heureusement ?!!) de recette miracle face à un enfant qui s'oppose quasi systématiquement, et que vos meilleures armes resteront toujours la patience, la créativité, l'adaptabilité et... le repos !
Le proverbe africain "Il faut tout un village pour élever un enfant" n'est sans doute jamais aussi vrai que durant cette période... Alors déléguez, passez le relais dès que possible (famille, amis, garderie...), isolez-vous un moment si vous sentez que vous allez craquer... sans culpabiliser !
C'est vraiment
vital pour tout le monde.
Un enfant de cet âge veut faire par lui-même et comprendre le monde qui l'entoure, à commencer par ce qui se joue dans sa propre maison. Si ce n'est déjà fait, c'est donc le moment idéal pour
préparer son environnement afin de lui laisser un maximum d'autonomie.
Il faudra ensuite
adapter notre attitude face à ce désir d'indépendance. Accompagner l'enfant dans cette recherche, c'est lui apprendre à son rythme, avec des gestes lents que l'on répète autant de fois que nécessaire pour qu'il les absorbe, c'est aussi accueillir les inévitables manifestations de frustration et de
grosse colère.
C'est une étape délicate pour l'enfant, car il se trouve dans un état de grande instabilité. A cet égard, il a besoin de notre
empathie et de notre compréhension. Ecouter sa demande, verbale ou non (lui offrir du soutien s'il le souhaite, mais savoir aussi le laisser gérer une situation difficile ou dépasser un état de colère tout seul), c'est le respecter vraiment.
Une chose essentielle pour moi a été de parvenir à ne plus "rien" attendre d'Emma, à accepter de simplement vivre à son rythme en m'adaptant autant que possible à ses besoins fluctuants... Cela peut paraître compliqué ou même stupide, mais en réalité quel
soulagement ! Ne rien planifier vraiment, ne rien attendre concrètement m'a permis de ne pas être déçue et de ne pas (trop) lui en vouloir...
De manière générale, un bon "truc" est de laisser le temps à l'enfant d'être prêt... Pour cela, le prévenir très longtemps à l'avance (qu'il va falloir sortir, s'habiller, changer la couche, etc.), en lui disant bien "quand tu seras prêt". Et, ensuite, le lui répéter plusieurs fois en ajoutant éventuellement "es-tu prêt maintenant ?".
Il va aussi vous falloir réfléchir à la question des limites... Lorsque tout devient potentiellement matière à conflit, il peut être judicieux de revoir ses prétentions à la baisse, en adoptant une
souplesse libératrice pour tout le monde !
Par exemple, dans notre cas, les seules limites que nous avons identifiées comme "immuables" sont celles concernant la sécurité (attacher sa ceinture en voiture, ne pas toucher aux prises de courant...), la santé (prendre ses médicaments, brosser ses dents...), ainsi que le respect de l'intégrité et des besoins d'autrui (ne pas taper, attendre son tour sans hurler d'impatience...). Ce sont aussi, d'ailleurs, les seules occasions où nous nous autorisions à recourir à la force physique.
Toutes les autres limites ont été - et sont toujours, dans une certaine mesure - flexibles et négociables, adaptables au seuil de tolérance de chacun, lui aussi fluctuant... L'objectif étant de trouver, autant que possible, des solutions "
gagnant/gagnant" (concept développé entre autres par Thomas Gordon dans son livre
Parents efficaces).
Les enfants apprennent essentiellement par imitation, et leur comportement est bien souvent le reflet de la façon dont ils sont traités. Avec un petit dont les mots préférés sont "
non !" et "
pas !", il peut être pertinent de réfléchir à notre propre façon de communiquer...
Faites un test : essayez, pendant toute une journée, de vous abstenir de dire non à votre enfant, et de présenter vos demandes sur un mode positif :
- "Oui, tu aimerais jouer avec moi. Ce sera possible dès que j'aurais fini de préparer le repas."
- " Je suis d'accord, c'est très énervant de devoir arrêter de jouer pour aller chez le médecin... C'est important pour ta santé, nous n'avons pas le choix. Mais ensuite, nous prendrons un bon goûter !"
- "Le four est brûlant, tu pourrais te faire très mal si tu y touches. Regarde ce nouveau livre ! Veux-tu que nous le lisions ensemble ?"
Essayez... Si vous êtes comme moi, vous allez en tirer des conclusions... intéressantes.
L'avantage avec un enfant de cet âge, c'est que le jeu et le
plaisir sont des arguments puissants. Pour sortir d'une situation conflictuelle, chantez, riez, chahutez... cela détendra tout le monde !
Abusez aussi du pouvoir des questions fermées. Puisque votre enfant entend affirmer sa volonté, laissez-le faire des choix... mais limités : "Est-ce que tu veux te coiffer ici ou dans la salle de bains ?" (et non pas "Tu viens te coiffer ?"), "Est-ce que tu préfères mettre cette robe ou ce pantalon ?" (et non pas "Est-ce que tu veux bien t'habiller ?"), etc.
Pour tous les moments devenus délicats à négocier (change, toilette, habillage...), vous pouvez prévoir de lui donner à manipuler un objet très intéressant, quelque chose auquel il n'a pas accès le reste du temps par exemple. Et, bien sûr, toujours lui proposer d'abord de faire par lui-même...
Voilà, je pense mettre assez étendue sur le sujet. Je vous souhaite sincèrement bon courage avec votre "deuzans"...
Quant à moi, j'attends la suite avec le prochain numéro...!