La première fois que j'ai crié sur Emma, j'étais enceinte et très fatiguée.
C'est arrivé "bêtement", au détour d'une situation banale.
J'avais envie d'une bonne douche, pour me détendre et me vider la tête. Et j'avais surtout besoin d'être parfaitement tranquille pendant quelques minutes. Mais, même après mes explications et une longue négociation, ma puce n'a jamais consenti à m'accorder cette petite pause tant espérée. J'ai pris ma douche quand même, en subissant les pleurs et les cris de mon Emma cherchant à me rejoindre sous l'eau. Alors, mes nerfs ont dû lâcher, je me suis mise à hurler. Longtemps... Je ne parvenais plus à m'arrêter. J'étais littéralement "hors de moi", à la fois sidérée par cette violence que je déversais sur mon enfant et soulagée.
Je n'avais rien vu venir, vraiment rien.
Lorsque je me suis calmée, j'ai immédiatement éprouvé une douleur et une culpabilité immenses. Emma avait de la terreur dans les yeux. Je l'ai prise dans mes bras, et nous avons pleuré. Puis je me suis excusée.
J'ai ensuite eu mal au ventre pendant deux jours...
La naissance d'Alexandre a marqué le début d'une des périodes les plus difficiles de ma vie, en terme de fatigue physique et émotionnelle. Je me sentais dépassée, j'étais en proie à des crises de panique lorsque mes deux enfants pleuraient en même temps. Je finissais souvent mes journées comme tétanisée, presque incapable de bouger.
Et je criais, de plus en plus.
A cette époque, je pense être passée très près de ce "burn-out maternel" que Violaine Guéritault décrit admirablement dans son livre
La fatigue émotionnelle et physique des mères :

Et puis, progressivement, mon bébé a commencé à trouver son rythme, Emma est allée régulièrement à la garderie... J'ai pris du recul, et commencé un long travail sur moi-même.
Pourquoi je vous raconte tout cela ?
Parce que cette période noire est derrière nous, et que je touche du doigt aujourd'hui mon idéal de vie
dans le calme.
Je continue à trouver difficiles mes journées en compagnie des enfants. Simplement parce qu'ils sont... des enfants, par essence exigeants et proches de leurs émotions. Parce qu'ils ont du mal à différer leurs envies et à gérer leur frustration.
Mais, globalement, je me sens forte.
Le chemin pour y parvenir fut long et sinueux, les retours en arrière nombreux. Ma remise en question s'est nourrie de lectures et d'échanges, elle aurait été impossible sans l'aide et le soutien de mes proches, à commencer par ceux de mon homme.
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Les quelques trucs que je pense avoir appris ou compris, les voici :
L'on peut aimer profondément ses enfants et leur faire violence, pourtant.
Parce que nous sommes humains, donc imparfaits, et que nous avons tous un passé qui nous gouverne.
En prendre conscience force beaucoup l'humilité...
La violence est un engrenage.
Les cris appellent les cris.
La nature humaine est ainsi faite que, selon un principe que nous pourrions appeler l'habituation, notre sensibilité à certaines situations ou certains phénomènes s'amenuise lorsque nous sommes en contact prolongé et/ou répété avec eux.
Ainsi la violence, qui dans un premier temps nous révolte et nous alarme, peut finir par nous sembler "normale" si nous la subissons au quotidien.
Il semble que cette spirale de la violence soit en oeuvre dans le processus qui conduit à la maltraitance : les cris, puis les tapes, puis les coups, puis la maltraitance caractérisée (ce qui ne sous-entend pas, évidemment, que tous les parents qui crient finiront maltraitants).
Après tout, il est plus facile d'enfoncer une porte entrouverte qu'une porte fermée...
La colère d'un adulte terrorise un enfant.
Lorsque nous sommes "hors de nous", notre visage, nos gestes, notre corps et son langage se modifient. Toute notre personne devient menace pour l'enfant, qui a une conscience aiguë de notre ascendance physique et psychologique.
Etre témoin de cette terreur dans le regard d'un enfant est un choc violent.
Chercher à combler rapidement les besoins de base de nos enfants est un bon calcul.
Parce qu'un enfant qui a faim, soif, sommeil, besoin de contact ou d'attention va certainement manifester son mal-être de façon bruyante et désordonnée, mettant nos nerfs à rude épreuve.
Comprendre et respecter nos propres besoins est aussi une priorité.
Nous ne sommes plus des enfants, certes, mais nous déconnecter de nos besoins, par abnégation ou simple impression de manquer de temps, est une mauvaise idée.
Notre énergie est précieuse ! Manger et boire lorsque le besoin s'en fait sentir, se reposer suffisamment, sont les moyens les plus efficaces de la préserver.
Quant à notre "réservoir affectif", s'il est vide, nous n'avons plus rien à donner et tout le monde est perdant.
J'attends de mes enfants qu'ils respectent mes besoins, au maximum de leurs capacités. Pour cela, je les leur exprime clairement, en me mettant à leur niveau. J'ai remarqué que plus je me sens légitime à les satisfaire, moins cela pose problème. Certainement parce que les enfants, ressentant notre malaise ou notre culpabilité, cherchent à les comprendre en appuyant "là où ça fait mal"...
Etre honnête et sincère, en premier lieu avec soi-même, est essentiel.
Les limites que je pose à mes enfants ne sont pas arbitraires, mais en rapport direct avec mon ressenti, dans une situation donnée. Elles peuvent donc être fluctuantes. A mes yeux, la cohérence tient toute entière dans la sincérité de ma réponse, à ce moment précis. Par exemple, si je demande que le bruit cesse alors qu'il ne me dérangeait pas 5 minutes auparavant, j'explique simplement que je ne le supporte plus et que c'est comme ça...
Si je n'ai pas envie de jouer, je ne me force pas "parce qu'une bonne maman le ferait". Je propose de reporter ce temps ensemble... et je tiens parole.
Une autre chose que j'ai découverte, c'est à quel point il est important d'être cohérent avec nos ressentis, en particulier au niveau du ton sur lequel nous les exprimons. Auparavant, j'avais tendance à vouloir masquer ma colère (dans un objectif de non-violence) en conservant un timbre de voix égal et doux. Le problème était que, lorsque cette colère devenait trop importante et finissait par sortir, elle paraissait totalement disproportionnée et incohérente.
Aujourd'hui si je suis en colère, je hausse le ton sensiblement, tout de suite. Outre le fait que cela soulage déjà un peu, cela évite le passage sans transition du "parler doux" au hurlement...
Je trouve cette cohérence vraiment beaucoup plus respectueuse de mes enfants et de moi-même.
Avoir besoin d'aide et en demander n'est pas honteux.
C'est même à mes yeux une preuve d'intelligence et de clairvoyance...
Nos états émotionnels sont transitoires.
Voici ce qu'en dit Sarah Napthali dans son ouvrage
S'occuper de soi et de ses enfants dans le calme - Bouddhisme pour les mères :

"
Je remarque que lorsque je suis au plus bas sur le plan émotionnel, j'ai tendance à avoir une vision totalement négative : tout est terrible, il en a toujours été ainsi et le sera toujours et tout est ma faute - et celle de tous les autres aussi ! Quand je retrouve une humeur plus légère, cela me parait rétrospectivement presque comique, mais sur l'instant, je crois à ces pensées. En mettant l'accent sur l'impermanence, le bouddhisme nous aide dans ces moments-là à reconnaître que cette humeur passera, que nous ne resterons pas longtemps dans cet état et que nous pourrons peut-être nous sentir tout à fait heureux, ne serait-ce que quelques heures plus tard ; nous pouvons supporter cette situation dans l'immédiat et éviter de lui accorder une trop grande importance.
L'enseignement de l'impermanence est un cadeau pour nos enfants aussi, même quand ils sont très jeunes. Nous pouvons nous servir de notre compréhension de l'impermanence pour les aider quand ils viennent de subir des émotions pénibles - nous pouvons leur parler de ce qu'ils ont ressenti, de la transformation, en l'espace de quelques minutes, de cette émotion en une autre. Dès lors, ils apprendront que les zones d'ombre où ils trébuchent n'ont pas de prise durable sur eux."
Nos émotions doivent être écoutées.
Il est bon aussi qu'elles soient exprimées. Pour reprendre l'exemple de la colère, si je la sens monter en moi et que cela est possible, je m'isole et je la laisse sortir, en criant ou en tapant sur des coussins. Il m'arrive aussi régulièrement d'appeler quelqu'un auprès duquel je sais pouvoir trouver une écoute attentive, respectueuse et bienveillante. Parler, quel remède miraculeux !
Ce qui fonctionne également de mieux en mieux pour moi, c'est l'acceptation totale de cet état de colère, que je laisse m'envahir en silence, yeux fermés, en me répétant quelque chose comme "tu as toutes les raisons d'être en colère !" : auto-empathie bienfaisante...
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Hier a été une journée difficile. Alexandre est en adaptation à la garderie et, même si cela se passe bien, cette étape reste un peu difficile à gérer pour lui. Emma était fatiguée mais refusait, comme toujours, de se reposer. J'ai écouté leurs états d'âme du mieux que j'ai pu, exprimé mon ras-le-bol à plusieurs reprises... Une journée difficile, mais je n'ai pas crié : une petite victoire qui vaut tout l'or du monde à mes yeux.